- HERZL (T.)
- HERZL (T.)HERZL THEODOR (1860-1904)Auteur de l’ouvrage intitulé L’État juif, essai d’une solution moderne du problème juif et publié en allemand en 1896, Theodor Herzl a transformé en réalité, puis en force politique une idée qui, depuis fort longtemps, demeurait très vive dans les profondeurs de la conscience juive, l’idée d’un «retour juif à Sion». Il faut évoquer, à propos de Herzl, le vieux débat concernant le rapport qui existe, dans l’histoire, entre l’homme, comme acteur et héros, et les circonstances. Le fait que l’idéal du sionisme soit sorti brusquement du domaine purement religieux et eschatologique pour entrer dans ceux de la pensée et de l’action historique s’explique, certes, par l’antisémitisme, qui fut très actif en Europe dans le troisième tiers du XIXe siècle. Herzl lui-même attribua plus tard à l’affaire Dreyfus — dont il fut un témoin proche à Paris en janvier 1895 en tant que correspondant d’un journal viennois — un rôle important dans le processus de sa propre «conversion». Mais d’autres avant lui, en Russie et en Allemagne, avaient assisté au XIXe siècle à des manifestations antisémites non moins révoltantes, auxquelles répondirent de très nombreux écrits sionistes dus à des Juifs (en Russie) et même à des Non-Juifs. La caractéristique de Herzl, c’est d’abord d’être venu au sionisme «de l’extérieur» (il était juif «assimilé»; né à Budapest et élevé à Vienne, il était étranger au judaïsme traditionnel mais profondément acquis aux idées rationalistes et libérales sur la dignité et les droits de l’homme), puis d’avoir apporté à cette cause, dans son ardeur de néophyte, les ressources d’une nature complexe dans laquelle il y avait du rêveur et de l’homme d’action. Sa brochure présentait une «utopie» (elle préconisait l’exode organisé des Juifs de tous les pays de la dispersion pour bâtir, sur une terre vierge, une société modèle de type socialiste), utopie appuyée sur un plan d’action très élaboré. Cet écrit avait, littérairement parlant, la concision, la clarté aveuglante des prophètes de l’Ancien Testament et des textes de la Révolution française; et, dans sa partie pratique, il faisait preuve de la lucidité et de la précision d’un juriste convaincu de la justesse de sa cause. Herzl, qui avait préparé la carrière d’avocat, était en effet journaliste et dramaturge de vocation. On peut le situer dans la longue lignée des hommes du XIXe siècle qui furent animés d’élans messianiques, tels Louis Blanc, Proudhon, Bebel, Lassalle, Marx.L’opposition qu’il rencontra — d’abord de la part de ceux qui voyaient dans sa brochure une chimère, l’œuvre d’un illuminé, puis des autres qui, la prenant au sérieux, y décelaient un danger pour la religion juive ou pour la poursuite de l’émancipation, largement avancée en Occident — fit passer Herzl à l’action. Il convoqua, en 1897 à Bâle, une assemblée juive internationale, qui, en trois jours, adopta un programme politique, dit le programme de Bâle (le but du sionisme est de créer pour le peuple juif un foyer en Palestine garanti par le droit public), et un plan d’action. Ce plan comportait la création de l’Organisation sioniste mondiale et d’un Congrès sioniste annuel (devenu biannuel plus tard), avec un bureau exécutif, sorte de gouvernement, et un président. C’est à ce congrès que se révélèrent la stature, les qualités de rayonnement (d’«envoûtement», diront les participants) et les dons d’action de Herzl. Un affrontement s’y manifesta, qui devint désormais permanent, entre deux tendances. L’une, celle du sionisme «pratique», soutenue par la fraction russe, la plus puissante en nombre et la plus riche en chefs prestigieux, préconisait la poursuite de l’infiltration en Palestine, commencée depuis des décennies par les Hovevê Tsion («Amants de Sion») russes, et du travail de renaissance hébraïque en Diaspora. L’autre tendance, celle du sionisme «politique» proclamé par Herzl, voyait dans l’infiltration et dans l’implantation illégale un moyen indigne et inefficace; elle proposait une action de grande politique auprès des puissances en vue d’obtenir un charter , une charte internationale reconnaissant aux Juifs le droit de s’implanter sur un territoire qui deviendrait le leur. Les sionistes russes (Oussishkine, Tchlenov, Ahad-Haam) se méfiaient de l’indifférence relative de Herzl et des «Occidentaux» (Bernard Lazare, Nordau, Wolfsohn) pour la patrie et la culture ancestrales (dans L’État juif , Herzl ne parlait encore ni de la Palestine ni de l’hébreu; sa préférence semblait aller à l’allemand comme langue nationale du nouvel État). Ces divergences risquèrent même de provoquer la rupture au XIe congrès (1903), au cours duquel Herzl, appuyé par Nordau, par Zangwil, et par une majorité des cinq cents délégués, retint à titre de «solution intérimaire» l’offre faite par l’Angleterre de l’Ouganda comme terre de refuge pour les victimes des derniers pogroms russes («Mon cœur est pour Sion, déclara Herzl, ma raison pour l’Afrique.») La scission fut évitée par la mort soudaine de Herzl, le 3 juillet 1904.Malgré une activité politique fébrile et ininterrompue pendant les dernières années de sa vie, et en dépit de ses dons de diplomate-né, Herzl vit l’échec de son sionisme politique. Ses démarches auprès du sultan, du kaiser, du tsar, du roi d’Italie, du pape Pie X, et surtout auprès des membres du gouvernement anglais (dans l’affaire de l’Ouganda et d’El-Arish), n’aboutirent à rien de positif. Il échoua aussi auprès de riches israélites (le baron von Hirsch, les Rothschild), qu’il avait, depuis le début, tenté de gagner à la cause. Il n’a vraiment réussi qu’auprès des masses juives d’Europe orientale, pour qui il était le «nouveau Moïse», élevé à la cour de Pharaon (Vienne), condamné à ne pas voir, de son vivant, le «pays promis», à la conquête duquel il a consacré sa vie. Le 18 août 1949, l’État juif, dont il avait prophétisé la création un demi-siècle auparavant, organisait en son honneur des funérailles nationales.
Encyclopédie Universelle. 2012.